Monday, June 7, 2010

Apologie

Rony Blain 12 mai 2010


Le 12 mai dernier, exactement quatre mois après l’assassinat de Jn Anil Louis-Juste, Monsieur Serge Michel Pierre-Louis, publie dans Alter Presse un hommage au défunt. Le rédacteur avait-il pris connaissance de mes protestations contre le silence de l’intelligentsia nationale sur la fin tragique du professeur ? Un fait certain, en lisant l’apologie, comme cet ami nous la présente, je constate que la victime et moi partageons certaines affinités : radical, compétiteur et d’autres défauts qui au lieu de nous ravaler nous placent au dessus de la foule. Je parle de nobles défauts quand on vit dans un univers complice duquel on essaie de se démarquer, se départir tragiquement de son milieu où les êtres, les objets tout ce qui nous entourent semblent fomenter un complot contre la réussite, le bonheur et la paix.

Mes investigations sur l’intellectualité haïtienne se sont approfondies après mon voyage du mois d’avril 2009 au pays. Je constate que notre intelligentsia a trahi la cause nationale pour se griser de ses farces. Nos lettrés ressemblent à des morceaux de haillons accrochés aux vestiges de la ville tandis que nos journaux respirent comme des poubelles. Sous cette honte abominable, quelques sales prétentions scintillent dans la ville en décomposition.

Nous errons dans un environnement sans institution. Nous empruntons la route de l’inconnu sans guide. Dans ce vide infernal émergent des faux prophètes, s’érigent des taudis ténébreux.

Je n’arrive pas à m’expliquer pourquoi je n’ai pas envoyé mes écrits au Professeur, puisqu’il a communiqué son adresse électronique ?

Ordinairement, mes concitoyens ne m’inspirent que des déceptions, les éviter représente une grande victoire. Je devrais grandir d’avantage en sagesse pour pouvoir aborder mes concitoyens les plus instruits et les plus raffinés. Manchots, sommes nous capables de nous serrer la main?

Si l’intelligentsia nationale s’était présentée au chevet de Anil, si je voyais fleurir des oraisons funèbres et des hommages, je me sentirais moins concerné. Mais, c’est que notre société n’hésite pas de gifler un cadavre, de piétiner une valeur, de profaner le savoir. Aujourd’hui, je pleurs la nullité des vivants, non le départ d’un héros.

L’assassinat de Anil Louis-Juste est passé inaperçu, serait-ce parce qu’il n’était pas un Jean Dominique ?

Savez-vous que si Georges Anglade était assassiné plutôt d’être enseveli sous sa maison, les ambassades de Port-au-Prince protesteraient auprès des autorités haïtiennes, des organisations internationales prendraient le relais, l’intelligentsia haïtienne gagneraient les rues, sa veillée durerait au moins trois ans. Le plus étonnant, c’est que le secteur des droits humains, des associations financées par l’International, payés pour ouvrir ou fermer la bouche, qui manifestent leurs mécontentements quand la police tue un assassin, ignorent ce nouveau crime de René Préval.

J’ai fait les mêmes réflexions quand l’intelligentsia célébrait le centenaire de Jacques Romain. Nos lettrés arrivaient de tous les coins de la planète pour participer à ces festivités. Je me demandais si Jacques Romain a la valeur qu’on le donne. Jusqu’ici, personne n’a présenté une savante étude de ses œuvres, ses idées non plus ne sont appliquées.

L’intelligentsia haïtienne qui ne conçoit aucune sorte d’obligation morale face à l’espèce humaine, cette bande de parasites n’hésite pas d’organiser un carnaval quand l’occasion se présente. Mais, face au devoir, elle chie. En réalité, ce camp, les hommes les plus éclairés du pays sont piteusement exclus dans la recherche de solution nationale. Réginald Boulos, un syro-libanais représente le secteur privé, les quinze plus riches familles du pays ; Bill Clinton, l’ancien président américain, les dix mille ONG. Dans tous les pays du monde, on a toujours pris soin de ménager les intellectuels, fers de lance du changement, mais chez nous, errant comme des chiens, la queue entre les jambes, ces lâches sont devenus la risée.

L’intelligentsia haïtienne est toujours occupée à conspirer, tantôt contre le savoir, tantôt contre le progrès, on dirait même contre sa propre existence. Respirant comme des cochons, nos lettrés n’ont aucune forme d’aspiration.

Je ne me serais jamais versé dans de telles études ni considérations si je n’étais pas l’auteur d’une Réforme générale. Je contemple deux rives, l’espoir et la défaite séparés par le fleuve de la souffrance.

J’ai présenté mes idées sur les places publiques, mais je ne voyais pas comment engager le débat national, sans la même violence accouchée par les rues.

Face à cette fatalité, je ne vois pas la nécessité de présenter mes Propositions de réforme générale à des lettrés répugnants. Mais, cette haine ne m’a pas empêché de présenter l’ouvrage à la Capitale. En m’introduisant dans un quartier populaire, j’ai exposé mes points de vue à une assistance, ma clientèle des places publiques m’a rejoint à la rue de la Réunion, pour cette cocktail historique. Aujourd’hui, ce quartier n’existe plus, mais mon audience a peu souffert, car au moment du tremblement, elle œuvrait à l’endroit habituel ; certains discouraient quand d’autres quémandaient.

Comme Anil Louis-Juste, j’ai horreur des masques, des fausses prétentions, des faux-semblants. Le professeur était engagé dans un corps à corps, moi, j’ai choisi l’isolement et l’ombre. Dans le marécage où nous flottons, mieux adapté que nous, dans tous les confrontations, le vulgaire aura le dessus.

Le sang de Anil Louis-Juste, même quand il est profané, ne sera pas flétri. Dans la série de RÉPONSES POSTHUMES, un nouveau genre littéraire que le drame m’inspire, je vais exposer mes conceptions sur le changement.

L’histoire appartient à ceux qui la façonnent pas à ceux qui l’effacent.

Le témoignage de Monsieur Pierre-Louis sur la vie de Anil Louis-Juste justifie mes choix, de dédier la série à cette tragique disparition.


RÉFÉRENCES :
Vivre et mourir pour autrui
Hommage à Jn Anil LOUIS-JUSTE,
un homme de bien sauvagement assassiné
Par Serge Michel Pierre-Louis, Alter Presse, le 12 janvier 2010

http://www.alterpresse.org/spip.php?article9511

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